Cheveux contre-culturels

Nous sommes en 2017.

Je scrolle, 

Je scrolle,

Je scrolle ;

J’ai besoin d’un nouveau look et j’ai besoin d’être anti-système. J’ai besoin d’incarner ma vigueur dans une chevelure à contre-courant. La contre-culture française a aujourd’hui un visage et c’est, à proprement parler, le visage de Jacques Auberger. Ou plutôt, les cheveux de la contre-culture française, ce sont les cheveux de Jacques Auberger.

Vers la fin des années 2000, j’avais déjà vu mes repères se brouiller dans les repaires branchés. Abandonnant la lourde toison grunge, les jeunes hommes adoptaient un scalp militaire très propre. Crus, sans artifice, leurs oreilles largement dégagées et le bas de leur crâne vous sautaient au visage comme la vérité mise à nu. Le coup de rasoir contestataire du voyou s’était retourné vers son propre cuir chevelu. Et les années ont passé ; le rasoir contre-culturel se muta en tondeuse Bose huit lames. Les côtés des crânes des footballeurs et des vedettes de télé-réalités se dégarnirent. La bouclette était ainsi bouclée : le propos capillaire était passé de l’underground à la culture mainstream.

Jacques le revendique, il voulait prendre à rebours l’idée de se raser les côtés de la tête pour avoir confiance en soi – il a rasé le haut. Il a ainsi appliqué de façon très littérale le principe de la contre-culture telle qu’elle s’est définie dans les années 1960 : si quelque chose est ou devient classique, il faut faire le contraire. La crinière grunge avait perdu en conviction, on se fit une coupe militaire ; la coupe militaire n’étonne plus, inversons-la à notre tour. 

Jacques reprend ce principe de façon plus radicale encore que le mulet de Salut c’est Cool, référence historiquement située aux années 80 – référence culturelle et, oui, référence esthétique à des codes désormais démodés. Personne n’a jamais, en revanche, porté une fausse calvitie par souci esthétique. Les mèches rebelles de Jacques pointent dans un autre sens, non pas vers le sensible, mais vers le rationnel. Sa contre-chevelure est un rempart le protégeant des « il faut ». Elle est une métaphore de sa liberté, au moins capillaire – sa liberté vis à vis de lui-même, non pas vis-à-vis d’un standard de beauté.

Sa bouclette bouclera-t-elle à son tour ? Ai-je moi aussi le droit de ressentir le vent de liberté qui balaie le grand front de Jacques ? Aucun coiffeur ne semble encore avoir été pris au dépourvu par des adolescents aubergiens. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas l’intention de Jacques, qui dit vouloir garder cette chevelure jusqu’à n’en avoir plus honte. C’est une autre façon de porter un coup de tondeuse contre soi-même. Une seule figure de l’univers mainstream adolescent a littéralement repris son idée. Maxenss, youtubeur, 780 217 abonnés, m’a devancé dans ma soif d’anti-système. Ici pourtant, le propos prodigue est revenu au bercail esthétique : la calvitie, portée pour promouvoir un rap sur les cheveux, est un accessoire d’originalité. Sans surprise, parce qu’elle n’avait pas de support philosophique, la tonsure a rapidement disparu.

Si je vole la toison de Jacques, je me remets moi-même en question, et pas la société. Je suis pris à mon propre piège.

Nous sommes désormais en 2018.

Je scrolle,

Je scrolle,

Je scrolle ;

J’ai essayé de voler la chevelure contre-culturelle de Jacques mais la calvitie ne me va pas. J’ai remarqué ensuite que Gaelle Garcia Diaz s’était rasé la tête, et j’ai repris espoir. 

En 2007, Britney Spears décidait brusquement de se démarquer de ses compatriotes chevelues ; voilà un bon scandale. Le crâne rasé, c’était l’image de sa folie, de la violence avec laquelle elle sortait des rangs du glamour pour entrer dans celui des déclassées. Qui sont en effet les femmes sans cheveux ? Les cancéreuses, les aliénées, les sans-abris, les détenues. Britney sans brushing, c’était la tête d’une tondue de 45 sur le corps d’une diva du top 50. Le choc était d’autant plus grand qu’une belle femme s’infligeait cette peine à elle-même. Mais un an plus tôt était sorti le film V pour Vendetta et je n’étais pas dupe : Britney avait simplement rejoint un mouvement underground que personne ne soupçonnait chez Voici. 

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